Les traumatismes infantiles sont particulièrement difficiles à dépister dès lors qu’ils concernent une population très vulnérable. En effet, les mineurs sont tributaires de leurs représentants légaux (parents, tuteurs etc). « Environ 61% des adultes interrogés ont déclaré avoir subi au moins un type de traumatisme de l’enfance avant l’âge de 18 ans, et près de 1 sur 6 a déclaré en avoir subi quatre types ou plus » selon les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC). « En France, nous avons très peu de chiffres et pas d’enquête de victimation directe auprès des enfants, mais à partir de celles réalisées auprès d’adultes qui rapportent les violences infantiles subies, on peut estimer que chaque année, au moins 160 000 enfants subissent des violences sexuelles, 400 000 enfants sont exposés à des violences conjugales et tous les cinq jours un enfant est tué au sein de sa famille » rapporte le Dr Muriel Salmona, psychiatre et spécialisée dans la prise en charge des évènements traumatiques. C’est quoi un traumatisme infantile ? Comment savoir si on a subi un traumatisme dans l’enfance ? Quelles sont les conséquences des traumatismes de l’enfance à l’âge adulte ? Comment le(s) surmonter ?
C’est quoi un traumatisme ?
« Un traumatisme est le résultat d’un évènement qui est reconnu par tous comme particulièrement générateur de souffrance, de peur, de danger » indique le Dr Salmona, psychiatre. Les situations traumatiques englobent les dangers de morts, les catastrophes naturelles, le fait d’être témoin d’une mort brutale, d’une situation brutale, toutes les situations de violence que l’on peut subir etc.
Quels sont les différents types de traumatismes de l’enfance ?
Les traumatismes de l’enfance sont répertoriées sous le terme d’expériences négatives de l’enfance (ou ACE) par le CDC. Autrement dit ce sont des évènements potentiellement traumatisants qui surviennent entre la naissance et les 17 ans de la personne. On y regroupe notamment :
- les violences (verbale, physique, psychologique et sexuelle)
- les négligences graves
- l’exposition à des violences conjugales physiques et/ou psychologiques (coups, cris, insultes)
- l’exposition à une mort brutale
- l‘exposition à l’addiction grave d’un parent (alcool, drogue)
- l’exposition à un parent qui est en prison
- les maladies psychiatriques lourdes d’un des parents
D’après une enquête publiée en 2016, dans le monde, un enfant sur quatre a subi des violences physiques, une fille sur cinq et un garçon sur treize des violences sexuelles, un enfant sur trois des violences psychologiques rapporte l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). « 84% des enfants victimes de violences ne sont jamais protégés ni reconnus« rapporte le Dr Salmona.
Comment savoir si on a vécu un traumatisme dans l’enfance ?
Les personnes qui ont vécu un traumatisme intra-familial ou sexuel dans l’enfance sont souvent dissociées, car elles restent en contact avec leurs agresseurs et continuent souvent à subir de nouvelles violences, ce sont des personnes qui sont déconnectées émotionnellement. Elles semblent ne pas réagir aux évènements, elles ont un mal-être important sans comprendre d’où il vient, des images dans la tête semblables à des hallucinations sans identifier leur origine. « La personne semble indifférente. Les victimes sentent que quelque chose « cloche » mais ne le relient à rien. Généralement, les patients consultent pour des souffrances comme de la dépression et lorsqu’on leur pose la question des violences dans l’enfance, ils répondent spontanément que non il n’y en a pas eues. Au fur et à mesure, ils évoquent des faits de violence infantile mais en ajoutant des phrases telles que « ce n’est pas grave ou c’était de ma faute ». Le discours de l’agresseur l’emporte et elles ne réalisent pas la gravité parce que l’émotion est dissociée » explique le Dr Salmona.
Est-il possible d’oublier un traumatisme de l’enfance ?
L’amnésie liée à la dissociation traumatique et à l’anesthésie émotionnelle que cela entraîne est une des problématiques à aborder dans les traumatismes de l’enfance. « L’amnésie est à l’origine d’une tolérance hors-norme des violences voire d’un « oubli » de celles-ci puisque la mémoire est déconnectée des émotions. Tant que l’on reste dissocié, on peut « oublier » pendant des années ce qui s’est passé puisque l’évènement n’est pas accessible émotionnellement » souligne le Dr Salmona. Mais la psychiatre précise que « ne pas avoir accès à l’évènement ne signifie pas que la victime n’est pas impactée par le traumatisme. Au contraire. Dès la naissance, l’enfant est complètement impacté par les violences auxquelles il est exposé. Les agresseurs estiment parfois qu’un enfant ne se souviendra de rien, surtout s’il est en situation de handicap, mais c’est faux« .
Comment retrouver la mémoire d’un traumatisme d’enfance ?
« Pour accéder au souvenir du traumatisme, la première étape est de d’être hors de danger, protégé et de ne plus être exposé au contexte et à l’agresseur« répond d’emblée la spécialiste. Condition d’autant plus difficile dans le cadre des violences intra familiales. C’est la raison pour laquelle les souvenirs refont souvent surface à un âge avancé. La prise en charge par un psychothérapeute formé dans les traumatismes traite la mémoire traumatique et permet à la victime d’avoir accès à l’évènement traumatisant.
Quelles sont les conséquences des traumatismes de l’enfance à l’âge adulte ?
« L’exposition précoce à la violence a été reconnue comme la principale cause de mortalité précoce et de morbidité à l’âge adulte » alerte le Dr Salmona. Avoir subi des violences dans l’enfance augmente le risque à l’âge adulte :
- de se suicider ou de faires des tentatives de suicides
- d’être alcoolique, toxicomane, tabagique
- d’être obèse
- d’avoir des comportements à risques
- de souffrir de dépression
- d’avoir une grossesse précoce
- de se retrouver en situation de précarité, de marginalisation ou de prostitution
- de subir de nouvelles violences ou de commettre des violences
« Pour une fille, avoir subi des violences physiques et sexuelles multiplie par 16 le risque d’en subir à nouveau à l’âge adulte. Pour un garçon, cela multiplie par 14 le risque de commettre des violences à l’âge adulte » précise le Dr Salmona. On retrouve une corrélation entre traumatismes infantiles et de nombreux troubles psychiatriques, cardio-vasculaires, endocriniens et gynécologiques, avec des maladies auto-immunes et neurologiques, des infections sexuellement transmissibles, des cancers, des ostéo-arthrites, des douleurs chroniques, etc. Il est probable que le niveau de tolérance à la douleur de l’adulte soit déréglé. « Par exemple, en cas de fracture au pied il est possible que l’adulte n’aille pas consulter parce qu’il n’a pas le même rapport à la douleur que les autres » indique notre interlocutrice. « Dans la vie professionnelle, ils auront tendance à accepter les situations à très haut risques. Une femme grand reporter victime d’inceste dans son enfance se retrouverait systématiquement dans les zones les plus à risque » illustre encore le Dr Salmona. A partir du moment où un enfant a subi 4 formes d’expériences négatives (ACE) et qu’il n’est pas pris en charge, elles déterminent sa santé mentale et physique 50 ans plus tard. « Si l’enfant en a subi 5, son espérance de vie réduit de 20 ans par rapport à la moyenne » alerte la psychiatre.
► « Pour une exposition traumatique, le risque que s’installent des troubles psychotraumatiques est de 24 %. Pour des violences physiques (en tant que victime ou témoin) infantiles, le risque passe à 50-60% et lors de violences sexuelles ou d’actes de barbarie infantiles, il est de plus de 80%« . Les symptômes de stress post-traumatique regroupent notamment la mémoire traumatique, les troubles phobiques et obsessionnels etc. Afin de survivre à la charge émotionnelle, et notamment à cause des effets de la mémoire traumatique, ces personnes vont mettre en place des stratégies de survie à travers des conduites d’évitement, des stratégies dissociantes pour s’anesthésier (conduites addictives, mises en danger, troubles alimentaires etc). « Ces stratégies qui sont des tentatives désespérées d’auto-traitement sont très préjudiciables pour leur santé, et leur vie qualité de vie, elles aggravent leur vulnérabilité et le risque de subir de nouvelles violences, elles sont rarement rapportés aux violences par les professionnels de la santé, et elles leur sont très injustement reprochées » rapporte le Dr Salmona.
► L’impact est non seulement physique et psychologique, mais également neurobiologique. « Le développement cognitif de l’enfant est détérioré avec des troubles de l’attention, de la mémoire, de la concentration. On relève un impact sur le système endocrinien et des difficultés de croissance. Ces atteintes laissent des séquelles cérébrales visibles par IRM, avec une diminution de l’activité et du volume de certaines structures et pour d’autres une hyperactivité, ainsi qu’une altération des connexions dendritiques et du fonctionnement des circuits de la mémoire et des réponses émotionnelles » détaille la psychiatre.
Comment surmonter un traumatisme de l’enfance ?
On peut vraiment réduire les répercussions du traumatisme quel que soit le moment, à partir du moment où l’on intervient. Il faut savoir que les atteintes neurologiques sont réversibles (par neurogénèse et neuroplasticité) avec une prise en charge. Plus la prise en charge est rapide, plus les dégâts sur la vie d’adulte pourront être évités, mais elle peut se faire et être efficace à n’importe quel moment de la vie. La première chose à faire est de protéger la personne de la situation de violence ou de stress.
« Leur donner des informations très précises sur le fonctionnement du traumatisme, de quoi il s’agit, le décrypter et le lier au mal-être, remettre de la cohérence et de la lisibilité constitue la seconde étape. Plus l’évènement et ses conséquences deviennent compréhensibles grâce à une psychothérapie spécialisée par des professionnels formés, plus la mémoire va s’intégrer dans le cerveau c’est-à-dire passer de traumatique à autobiographique et moins les victimes risquent de tomber dans les conduites addictives et mises en danger » développe notre interlocutrice. L’éducation thérapeutique représente 50% du traitement. Pour atténuer les symptômes comme le stress, on peut avoir recourt à l’EMDR ou l’hypnose. La prévention est primordiale dès lors qu’il s’agit d’enfants. « Nous avons constitué un livret d’outils et d’explications de la violence et des traumatismes qui en résultent destiné aux enfants » ajoute la spécialiste. La psychiatre rappelle l’importance de protéger les enfants de toute forme de violences y compris celles qu’on appelle les violences éducatives ordinaires et l’importance de dépister les violences et autres traumatismes infantiles le plus rapidement possible pour pouvoir les traiter.
Merci au Dr Muriel Salmona, psychiatre spécialisée dans la prise en charge des évènements traumatiques et Présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie.
Source : JDF Santé