Scandale du chlordécone : dates, quels effets sur l'homme ?

De 1972 à 1993, le chlordécone (aussi appelée « la chlordécone ») a été commercialisé sous les noms Képone® et Curlone® comme insecticide dans les cultures de bananiers en Guadeloupe et Martinique. Or, il pollue les sols et l’eau destinée à la consommation humaine et présente des risques pour la santé. Ce pesticide serait lié à une hausse du risque de cancer de la prostate, à l’origine aussi du « Syndrome de Kepone » et d’atteintes du développement du fœtus. Interdit dès 1976 aux Etats-Unis, il ne l’a été en France qu’en 1990 et des dérogations ont autorisé son utilisation jusqu’en 1993. Les conséquences de ce pesticide perdurent encore aujourd’hui aux Antilles. Plus de 90% des Antillais ont du chlordécone dans le sang selon l’étude Kannari de Santé Publique France parue en octobre 2018. « Le gouvernement a lancé un [quatrième] plan chlordécone pour la période 2021-2027 pour protéger au mieux la population antillaise face à la pollution à la chlordécone, et de prendre en charge les impacts liés à cette pollution » indique le ministère de la Santé. Quels sont les effets du chlordécone sur la santé ? Pourquoi cette affaire a fait scandale ? Où en est le procès ?

C’est quoi le chlordécone ?

Le chlordécone est un composé organochloré de synthèse absent à l’état naturel dans l’environnement. Il a été découvert en 1951, breveté en 1952 et commercialisé à partir de 1958 par la société américaine « Allied Chemical », sous les noms de Kepone® et de Curlone®.

Pourquoi est-il utilisé aux Antilles ?

Le chlordécone est utilisé pour la première fois comme pesticide aux Antilles (Guadeloupe et Martinique) en 1972 pour lutter contre le charançon, un insecte qui ravage les bananiers.

Image d'un charançon
Image d’un charançon © boedefeld-123RF

Pourquoi a-t-il été retiré ?

Les Etats-Unis interdisent la production de chlordécone en 1976 à cause de troubles neurologiques relevés chez des ouvriers de l’usine de production du pesticide. En 1990, le chlordécone est interdit en France mais des dérogations sont accordées aux Antilles pour l’utiliser jusqu’en 1993. La pollution des sols par le chlordécone aux Antilles est démontrée pour la première fois par des chercheurs de l’INRA en 1977 et la contamination des animaux sauvages en 1980. En 1999, il est admis que la pollution par le chlordécone contamine également l’eau destinée à la consommation humaine. « De nos jours, la pollution des sols au chlordécone persiste du fait de son exceptionnelle résistance à la dégradation biotique et abiotique. Par le biais de l’alimentation, les populations continuent à y être exposées » indique l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Irset).

Dates clés du scandale du chlordécone

► 1958. Le pesticide chlordécone est fabriqué dans l’usine américaine Hopewell en Virginie.

► 1972. Le pesticide est homologué en France sous le nom de Kepone®. Une autorisation provisoire de mise sur le marché est déclarée. Les agriculteurs des Antilles l’utilisent pour leur cultures de bananes.

► 1975. La fabrication de l’usine de Hopewell est interrompue car des défaillances graves ont été constatées dans le dispositif d’hygiène et de sécurité de la chaîne de production, donnant lieu à des pollutions aux abords de l’usine et à des effets toxiques sur les ouvriers de l’usine et sur les personnes habitant autour.

► 1976. Les Etats-Unis interdisent la production de chlordécone.

► 1977. Le rapport Snegaroff de l’INRA établit un lien entre l’utilisation du chlordécone et la pollution des sols et de l’eau peut-on lire dans un Rapport d’information de l’Assemblée Nationale.

► 1979. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) classe le chlordécone comme « cancérigène possible pour l’homme ».

► 1980. Le rapport Kermarrec souligne également le lien entre chlordécone et pollution des sols et de l’eau. La même année, les Etablissements Lagarrigue en Martinique obtiennent l’Autorisation de mise sur le marché du chlordécone.

► 1990. Le chlordécone est interdit en France mais des dérogations sont accordées aux Antilles jusqu’en 1993. « Une première décision du sous-directeur de la protection des végétaux, par autorisation du ministre de l’agriculture de l’époque, M. Louis Mermaz, datée du 6 mars 1992, accorde « à titre dérogatoire un délai supplémentaire d’un an d’utilisation du Curlone pour lutter contre le charançon du bananier, c’est-à-dire jusqu’au 28 février 1993«  souligne le rapport d’information de l’Assemblée Nationale. « La vente du Curlone pouvait donc se poursuivre, conformément au droit commun, deux ans après le retrait de l’autorisation de vente intervenu le 1er février 1990″.

► 2002. Eric Godard, chargé des eaux potables à la DDAS (ancien ARS) découvre des traces de chlordécone dans l’eau et lance une étude. Elle met en évidence la présence de chlordécone dans les sols et certains légumes cultivés plusieurs années après l’arrêt de l’utilisation du pesticide, ce qui démontre des conséquences durables sur l’environnement.

2006. L’Association médicale de sauvegarde de l’environnement et de la santé (Amses) en Martinique et L’Association guadeloupéenne d’action contre le chlordécone (AGAC) déposent plainte pour « mise en danger de la vie d’autrui« , après des années d’empoisonnement de leurs îles au chlordécone. 

E. Macron reconnait la responsabilité de l'Etat dans le scandale du chlordécone
Emmanuel Macron reconnait la responsabilité de l’Etat dans le scandale du chlordécone en 2018 © Blondet Eliot-POOL/SIPA

2008. Le gouvernement français lance le premier Plan chlordécone pour lutter contre les effets de l’insecticide. (On en est actuellement au quatrième).

27 septembre 2018. Le Président de la République reconnait la responsabilité de l’Etat dans le scandale du chlordécone. « La pollution à la chlordécone est un scandale environnemental dont souffre la Martinique et la Guadeloupe depuis 40 ans. Tout cela c’est le fruit d’une époque qui est désormais révolue. (…) Ce fut aussi le fruit d’un aveuglement collectif«  déclare Emmanuel Macron dont les propos sont rapportés par Martinique la 1ère.

► Suivant les réquisitions du Parquet de Paris, la justice française prononce un non-lieu dans l’affaire du chlordécone (dépôt de plainte de 2006), les juges estimant que les faits sont prescrits. 

Quels sont les effets du chlordécone sur l’homme ?

Le chlordécone pénètre dans le corps par la voie orale. « Une augmentation des niveaux d’imprégnation par la chlordécone est observée avec la consommation de poissons » note Santé publique France en 2019. Il est absorbé par l’intestin et partiellement métabolisé dans le foie. Seulement une faible partie est ensuite éliminé par les selles, le reste est réabsorbé par l’intestin. Il s’accumule généralement ensuite dans le foie.

► « Les premières études du début des années 1960 sur des rats démontrent que le chlordécone provoque des troubles neurologiques caractérisés par des tremblements corporels et des membres, une atrophie testiculaire et des lésions hépatiques tumorales » précise l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Irset). « Des études de cancérogenèse chez l’animal de laboratoire sont à l’origine de son classement, en 1979, comme cancérogène possible pour l’Homme par le Centre International de Recherche sur le cancer (OMS)« . Par ailleurs, son mode d’action atteint les enzymes du métabolisme énergétique, des neurostransmetteurs et présente des propriétés hormonales qui le reconnaissent comme perturbateur endocrinien.

► En 2021, un rapport de l’Anses conclut « à une relation causale probable entre chlordécone et risque de cancer de la prostate ».

► « Un ensemble de symptômes [liés au chlordécone] sont regroupés sous la dénomination de « Syndrome du Képone » qui se caractérise par des atteintes neurologiques (tremblement des membres, incoordination motrice, troubles de l’humeur et de la mémoire récente, mouvement anarchique des globes oculaires) et testiculaires (modification de certaines caractéristiques spermatiques) » précise un Rapport d’office parlementaire du Sénat publié le 22 février 2023.

► L’exposition pré ou post-natale au chlordécone est associée à des effets négatifs sur le développement cognitif et moteur des nourrissons indique une étude menée par des chercheurs de l’Inserm en 2012.

Sources :

– Impacts de l’utilisation de la chlordécone et des pesticides aux Antilles : bilan et perspectives d’évolution, Sénat, 22 février 2023

– Le chlordécone, un scandale d’Etat, Franceinfo 1 le portail des Outremer

– Chlordécone aux Antilles : les risques liés à l’exposition alimentaire, Anses, 9 décembre 2022

– Etudes destinées à identifier les dangers et risques sanitaires associés à l’exposition au chlordécone, IRSET, 7 décembre 2022

– Cancer de la prostate en lien avec les pesticides incluant le chlordécone, Anses, mars 2021

– Imprégnation de la population antillaise par la chlordécone et certains composés organochlorés en 2013-2014 : Étude Kannari, Santé Publique France 2019

– Impact de l’exposition au chlordécone sur le développement des nourrissons, Inserm, 17 septembre 2012


Source : JDF Santé