Phubbing : "Une conduite d'évitement de soi et de l'autre"

Consulter ses mails lors d’un dîner en amoureux, pianoter sur son téléphone pendant une soirée familiale, faire défiler ses notifications Instagram en pleine conversation avec des amis, se précipiter sur son smartphone à la moindre notification… Cette attitude qui revient à ignorer les personnes qui sont avec nous au profit de son téléphone s’appelle le « phubbing ». Le terme est une contraction du mot anglais « phone » (téléphone) et « snubbing » (snober). Vous pensez ne pas être concerné ? Les Français ont passé près de 4 heures par jour sur leur smartphone en 2022 d’après le rapport « State of Mobile » de Data.ai. Nous pratiquons le « phubbing » plus souvent qu’on ne pense.

Définition : c’est quoi le phubbing ?

Littéralement, le phubbing signifie snober quelqu’un en utilisant son téléphone. Dans le cadre d’une relation personnelle (familiale, de couple ou amicale), lorsqu’on s’adresse à cet ami qui est sur son téléphone se pose la question d’une potentielle addiction. « Le phubbing est davantage une conduite d’évitement de soi et de l’autre » selon Michael Stora, psychologue et psychanalyste. C’est une manière de s’éviter soi (je ne veux pas penser à quelque chose) ou l’autre (la relation ne va pas bien mais je n’ose pas en parler). « Elle révèle un problème sous-jacent«  ajoute le psychologue. Le phubbing entre dans le domaine du pathologique dès lors que l’entourage commence à alerter et que les liens sociaux sont en rupture.

Qui est le plus touché par cette pratique ? 

Tout le monde peut en être touché. « Je remarque que c’est un des reproches les plus attribués aux adolescents par les parents. Je les invite toujours à s’interroger sur les raisons pour lesquelles leur enfant se comporte comme cela » indique Michael Stora. Les jeunes pratiquent une stratégie de retrait social. « Ils peuvent expérimenter des socialisations virtuelles au détriment de relations réelles et c’est là où le phubbing peut tomber dans le pathologique. Les relations virtuelles sont paradoxalement plus satisfaisantes pour les jeunes de par les stratégies de valorisation narcissique mises en place sur les réseaux sociaux (les « likes ») et sur les jeux vidéo (les points, les trophées et médailles) » note le psychologue.

Quelles sont les causes du phubbing ?

Le phubbing pathologique révèle d’autres problématiques intimes et une forme d’évitement de l’autre et d’évitement de soi (problématiques intimes, dans la relation à l’autre, difficultés d’exprimer des sentiments etc). Un ado dont les parents lui reprochent de faire du phubbing lors des dîners familiaux est peut-être en train d’éviter les conversations sur ses notes ou l’école. « C’est une non manière de rejeter la parentalité, forme de rébellion mais fausse rébellion puisque on est dans l’évitement plutôt que le conflit » souligne Michael Stora. « Dans un couple, le phubbing peut révéler une forme de lâcheté ou de peur face au conflit. Nous sommes le 14 février, jour de la Saint Valentin, je suis avec mon conjoint et il sort son téléphone. Cela peut démontrer que l’autre n’a pas vraiment envie d’être là mais n’a pas le courage d’aborder le problème par exemple«  illustre notre interlocuteur. On peut également mentionner les stratégies de captation mises en place par les réseaux sociaux dont la vocation est que l’internaute reste le plus longtemps possible dessus. « Les GAFAM nous offrent une forme de bonheur numérique pour pallier à notre malheur réel«  remarque le psychologue.

« Il est important d’apprendre à s’ennuyer ensemble et l’accepter »

Avec qui est-on plus susceptible de pratiquer le phubbing ?

Notre entourage le plus proche (couple, famille) est celui avec lequel on vit les choses les plus intenses mais également les plus ennuyeuses. « Le couple qui vit ensemble au quotidien subit les injonctions de l’amour et du bonheur ce qui peut être « tyrannisant ». Or, le quotidien du couple se confronte à l’ennui qui n’est pas particulièrement valorisé dans notre société » développe Michael Stora. « Il est important d’apprendre à s’ennuyer ensemble et l’accepter«  conseille notre expert.

Quelles sont les conséquences du phubbing sur nos relations ?

« Les conséquences sur nos relations sont catastrophiques. Le phubbing participe au délitement des relations interpersonnelles et provoque de l’isolement social«  alerte notre interlocuteur. Le rejet, s’il est vexant, a le mérite de transmettre sa position à l’autre, le phubbing est une forme d’indifférence qui crée une blessure narcissique de l’indifférence. Imaginons que vous discutez avec quelqu’un d’un sujet sérieux et que la personne en face de vous ouvre son téléphone et regarde ses notifications, vous n’aurez plus envie de passer du temps avec cette personne ni de vous ouvrir sur un sujet personnel. « On réalise que « l’écran fait écran ». Dans une relation, reconnaître que l’autre est là par le contact, qu’il soit visuel ou communicatif, est primordial pour la développer et l’entretenir » ajoute le psychologue. 

Quelle image cela renvoie de la personne ?

Le phubbing est vécu comme un mépris par la personne qui le subit et cela renvoie donc une image négative, une forme d’indifférence et de désintérêt vis à vis de l’autre.

« Le dialogue est primordial »

Comment lutter contre cette pratique du phubbing ?

Une des façons de lutter contre les conséquences relationnelles du phubbing est le partage. « Partager le contenu de ce que l’on regarde dans son téléphone, demander à l’autre ce qu’il en pense et s’en servir comme support de discussion » propose Michael Stora. Si l’on est face à quelqu’un qui fait du phubbing de manière disproportionnée et qu’on a l’impression d’être méprisé par l’autre, il faut oser rompre cette attitude et cet évitement en parlant à l’autre de son ressenti. « Comme le phubbing est généralement révélateur d’un autre problème sous-jacent, lié au fait que la communication intime est très compliquée, le dialogue est primordial » défend le psychologue. « Aux parents qui se plaignent du phubbing de leurs enfants lors des dîners par exemple, je leur conseille d’évoquer des sujets de conversation qui intéressent leurs ados et de ne pas aborder systématiquement les cours et les notes par exemple » poursuit l’expert. Si je suis l’auteur du phubbing, mon entourage peut le remarquer et des phrases comme « tu es tout le temps sur ton téléphone », « t’es accro à ton téléphone » doivent nous alerter sur notre pratique. Lorsqu’on perçoit un phubbing excessif ou problématique, le problème sous-jacent doit être identifié pour le résoudre. « En général, si la dynamique familiale, amicale et de couple est bienveillante, ouverte au dialogue et à l’écoute, que les individus prennent le temps d’échanger et de partager, le phubbing problématique est moins probable » rassure notre expert. Si le problème persiste, il est possible d’aller consulter un psychologue.

Merci à Michael Stora, psychologue et psychanalyste, co-fondateur de l’Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines (OMNSH).


Source : JDF Santé